Stimuler l'activité de représentation
À la base des images mentales qui se construisent et habitent notre conscience, se trouve une activité intérieure qui doit être stimulée et éduquée. L’affaissement de certaines facultés résultant d’un usage excessif des médias, notamment un déficit de l’attention et de la capacité à se concentrer, n’est plus à démontrer. L’enjeu résultant de cet état de fait semble indiquer qu’il ne s’agit pas tant de multiplier les contenus d’apprentissage que de développer une faculté. La pédagogie Steiner Waldorf s’emploie à essayer de renforcer l’activité de représentation par la forme même que revêt l’enseignement.
Le geste pédagogique de base consiste à inciter l’enfant à se former lui-même ses représentations mentales à travers un enseignement imagé et varié. En ce sens, plutôt que de formuler des définitions ou d’inculquer des notions, l’enseignant cherchera à caractériser les phénomènes sous des angles les plus variés possibles. A titre d’exemple, l’étude d’un fleuve ne se définira pas tout d’abord à travers sa « carte d’identité », source et embouchure, nombre de kilomètres, débit… mais en fonction de ses qualités propres ou de son lien avec les activités humaines. L’enseignant fera naître une image évocatrice du « caractère » du fleuve (impétuosité du Rhône, force tranquille de la Seine…), en l’illustrant par toutes sortes de faits réels, d’anecdotes, permettant à l’enfant de s’en forger une image vivante. Dans cette perspective, la capacité de l’enseignant à animer et à faire vivre son sujet sera privilégiée à des supports apportant un résultat fini que l’élève n’aura qu’à commenter.
La force de représentation peut également se renforcer par des activités plastiques comme le dessin de forme, la géométrie, et la formation, par l’élève, de ses propres cahiers d’études. Le dessin du tableau, faisant pleinement partie du savoir-faire du professeur de classe, illustre généralement une thématique de la période où une scène de l’histoire en cours. L’enfant s’en nourrit et s’en sert de support pour enrichir et forger de nouvelles images intérieures.
D’une façon générale l’enseignement par l’image incite l’enfant à garder un dynamisme et une mobilité intérieurs qui viendront soutenir avantageusement l’exercice de l’abstraction au moment du passage à la puberté.
Enrichir la vie du sentiment
Dans la pratique de la pédagogie Steiner Waldorf, l’affermissement de l’activité pensante se cultive de concert avec la vie du sentiment afin de lui apporter une forme d’enseignement qui corresponde à sa manière d’entrer en contact avec le monde.
Outre l’enseignement vivant et imagé, la vie du sentiment se forge et s’affermit lorsque l’enfant se sent harmonieusement inséré dans le monde. La pratique pédagogique porte une attention particulière à tout ce qui lui permet de grandir à l’intérieur de rythmes naturels, festifs ou scolaires.
La table des saisons ornant une partie de la classe et décorée dans un souci de beauté, accueille les objets de la nature qui apparaissent au cours de l’année (fleurs, marrons, champignons…). Les fêtes cardinales, empruntant à la fois de la tradition païenne (fêtes de la nature), et de la tradition chrétienne, permettent à l’enfant de se sentir intégré et porté par un monde harmonieux et sécurisant.
La relation à la nature occupe une place importante dans la vie scolaire. Aménagement végétal des espaces, jardinage, promenades en nature sont intégrés à la vie scolaire et l'enseignement est largement tourné vers les phénomènes naturels (botanique, zoologie, minéralogie, astronomie...). Dans cette perspective, l’attention portée à l’éducation du sentiment ne concerne pas seulement la partie émotive de la vie psychique, mais le renforcement d’une stabilité intérieure qui en formera la base durable.
Fortifier l’activité volontaire
Ce que l’on appelle « volonté » caractérise la capacité de l’individu à entreprendre une action. L’exercice et la répétition sont les fondements du développement de l’activité volontaire. Cette faculté connaît une crise croissante depuis que l’enfant est inséré dans un monde « qui marche tout seul ». La plupart des activités qui concouraient à développer la volonté par le quotidien ont été automatisées (laver le linge, la vaisselle, ouvrir un volet, une porte, se laver les dents, monter les escaliers, etc.). Cet ensemble d’actes concouraient, par l’exercice quotidien de mouvements extrêmement diversifiés, à la formation de la volonté. L’inflation d’ennui, de découragement, de souffrance à l’effort, que connaissent parents et enseignants résulte en premier lieu du fait que l’exercice corporel n’a été remplacé que par des activités de loisirs. La pédagogie Steiner Waldorf cherche à réintroduire et à cultiver l’exercice de l’activité volontaire dans la vie scolaire, notamment par la pratique artistique soutenue, l’attention portée aux activités plastiques, à la répétition quotidienne.
La pratique régulière des travaux manuels (tricot, crochet, point de croix, travaux divers), permet à l’enfant de réaliser des projets dans la durée. L’accompagnement particularisé du professeur (favorisé par un travail en demi-groupe) permet à chacun de réaliser de beaux ouvrages, et d’acquérir un vaste savoir-faire. Il est en outre avéré que l’exercice manuel, la dextérité, possèdent une action positive sur la formation cérébrale, induisant un renforcement de l’activité mentale.
Nous préconisons également fortement la pratique d’un instrument de musique qui permet à l’enfant de développer une conscience volontaire à travers la maîtrise des doigts, des bras, du souffle, etc.
Concernant la pratique des activités physiques et sportives, on ne soulignera jamais assez que les activités ludiques, les séquences de motricité, l'éducation physique ne sont pas et ne doivent pas devenir des exutoires, ou des moyens de compensation à une éventuelle trop grande sédentarité induite par les autres activités et divers apprentissages. Il s'agira "d'apprivoiser" son corps, l'espace, d'en maîtriser les lois, d'avoir les vécus psychomoteurs les plus divers possibles, d'expérimenter les différentes qualités et limites corporelles qui se manifestent dans les mouvements, des plus simples aux plus complexes, des plus rudimentaires aux plus subtiles. Le plaisir de bouger, l'amélioration de la perception de soi, des autres, et de la confiance qui en découle, l'assurance dans sa propre motricité, et l'appropriation progressive de tout le champ socioculturel des activités physiques ludiques, artistiques, sportives, sont plus que jamais les fondements mêmes d'un développement sain de l'individu au sein des sociétés humaines.
Stimuler la créativité dans sa relation avec le monde
La pratique artistique en primaire est un pilier majeur de l’enseignement car elle procède d’un besoin d’expression fondamental pour le développement intérieur de l’être humain. La créativité est assurément l’une des expressions les plus riches de l’activité humaine puisqu’elle permet de transformer le monde dans quelque domaine que ce soit, artistique, social, philosophique, scientifique…
Mais les plus hautes créations ayant jailli de l’esprit humain (productions picturales, architecturales, musicales, techniques…) sont toutes nées d’une appréhension des lois du monde, qu’elle soit instinctive, empirique, intuitive ou cognitive. Parce que la créativité, l’imagination ne sont pas arbitraires, elles ne peuvent pas non plus jaillir à partir de rien.
L’enseignant peut souvent constater que les créations « libres » sont souvent, chez l’enfant, plus pauvres que lorsqu’un thème a d’abord été cultivé ou précédé d’une phase d’expérimentation. Ce constat s’explique par le fait que l’enfant, peu riche en expériences, est tenté de s’appuyer sur des images ou des productions souvent stéréotypées ou caricaturales.
Afin d’éviter le revers d’une créativité fondée sur l’arbitraire ou les stéréotypes, la pédagogie Steiner Waldorf cherche d’abord à nourrir l’enfant en lui proposant un vaste réservoir d’expériences progressives. L’appel à la créativité n’est donc pas posé comme un principe spontané que l’enfant est censé posséder, mais plutôt comme un potentiel qui ne peut se développer que s'il a été préalablement nourri et éduqué, par le sentiment, en relation intime avec les qualités intrinsèques du monde.
Créer un terrain sain pour la pensée abstraite
Contrairement à la forme d’enseignement qui sera mise en œuvre lors du passage à l’adolescence, la force discursive, la conduite logique, n’est pas cultivée indépendamment de l’expérience que l’enfant effectue au contact du monde qui l’entoure.
La force d’abstraction qui s’accroît naturellement lors de l’adolescence n’est auparavant pas affermie au point que l’enfant puisse s’appuyer dessus pour construire un raisonnement vraiment autonome. L’exigence d’une logique abstraite prématurée contraint l’enfant à s’appuyer sur des schémas préconstruits. N’ayant pas pris racine sur une activité propre, les idées risquent d’être adoptées de façon affective et doctrinale plus que de façon logique.
Du point de vue préconisé par la pédagogie Steiner Waldorf, il s’agit d’abord de cultiver une base saine préparant à la pensée abstraite. Ce fondement est cultivé durant toute la période qui précède l’adolescence par l’effort constant de renforcer l’activité représentative par la relation avec la vie réelle.
Le monde dans son ensemble, est sous-tendu par des lois qui s’expriment dans la nature, le comportement animal, les créations humaines. Durant cette phase de son évolution, l’enfant éprouve encore le besoin de rencontrer les lois du monde dans l’enveloppe des phénomènes qui s’offrent à lui dans une infinie diversité. Il affermit par cette voie ce qui se convertira peu à peu en "capacité logique".
Cultiver la confiance
La pédagogie Steiner Waldorf favorise la confiance en soi et en l’autre par le regard qu’elle porte sur chaque enfant. L’absence de notations au profit d’appréciations personnalisées, évite la hiérarchisation des capacités, génératrice de frustrations et de complexes. Le suivi des élèves par un même professeur de classe durant plusieurs années permet d’accompagner dans la durée chaque enfant en respectant son rythme propre.
En outre les élèves sont amenés à vivre de nombreuses expériences communautaires à travers, notamment, les voyages de classe, les nombreuses sorties scolaires, les projets théâtraux, les fêtes trimestrielles, les réalisations communes à l’intérieur de l’école. L’importance accordée à chaque matière sans priorisation, permet à chaque enfant de se sentir valorisé dans l’un ou l’autre domaine.
Enfin, l’approche pédagogique tout entière se fonde sur une confiance nourrie par la conviction que chaque être humain est porteur de qualités uniques, et d’une tâche à accomplir dans le monde.